Qu’est-ce que la pédagogie ?
La pédagogie, ce sont les moyens que l’on utilise pour transmettre des savoirs, favoriser les apprentissages. C’est se poser la question : « comment permet-on aux enfants d’apprendre » ? Par quels aménagements, propositions de jeux, nous leur permettons d’élaborer leurs fonctions cognitives et favoriser le développement de leurs intelligences ? Lorsque nous parlons d’intelligence, cela ne se limite pas au fait de savoir lire, écrire, ni l’apprentissage des couleurs, des chiffres, etc. il existe des intelligences multiples :
• l’intelligence spatio – temporelle (se repérer dans l’espace, le temps),
• la créativité,
• l’intelligence logico-mathématique,
• l’intelligence sociale (l’intégration des codes sociaux, les relations avec les autres…),
• l’intelligence émotionnelle (la gestion des émotions).
Notre mission est de favoriser le développement de toutes ces intelligences. Dans la plupart des crèches il y a une tendance à organiser les jeux des enfants de manière « scolaire », avec une alternance entre « jeux libres » et « jeux dirigés ». Or, les jeux des bébés se doivent d’être libres. C’est la définition du jeu : le jeu n’a pour objectif, pour celui qui le pratique, que la recherche du plaisir. Il est libre par essence, et nécessite de ne pas être « dirigé » ou guidé.
Nous accueillons des enfants de 10 semaines à 4 ans, et notre objectif en crèche est de préserver ce temps de la petite enfance et des découvertes, par le biais des jeux. Il n’est pas de préparer l’enfant à l’école maternelle. L’enfant a une grande capacité d’adaptation, et s’adaptera rapidement à l’environnement scolaire lorsqu’il entrera à l’école. Avant 3 – 4 ans, il a tellement de choses à découvrir, explorer, intégrer… le cerveau de l’enfant n’a pas la maturité nécessaire pour les apprentissages scolaires. Notre mission est celle « d’éducation » et non pas de « conditionnement ».
Par définition, l’éducation vise à l’émancipation de l’être humain. Préparer l’enfant à l’école alors qu’il n’est pas « prêt », c’est le conditionner à un fonctionnement et des « règles » qui pourront le bloquer dans ses expérimentations. De ce fait, c’est aussi le limiter dans le développement de ses multiples intelligences. Les expériences de l’enfant sont essentielles car elles permettent à l’enfant d’intérioriser des éléments qui lui serviront pour ses apprentissages futurs. Par exemple : un enfant qui joue avec une petite boite et une grande boite, il essaye de mettre la grande boite dans la petite. Après ses tentatives infructueuses et un accompagnement de l’adulte qui commente son expérience, l’enfant comprend qu’il existe différentes tailles. Il découvre les notions de « grand », « petit », ces dimensions qu’il étudiera en mathématiques plus tard. Toutes les expériences de l’enfant mettent en place un système de pensée et des notions qu’il redécouvrira par la suite.
Notre grand principe pédagogique est une liberté dans le jeu et les expériences de l’enfant… principes qui s’appuient sur la pédagogie de « l’itinérance ludique ».
L’itinérance ludique, c’est quoi ?
C’est une pédagogie de la petite enfance, et plus particulièrement une pédagogie du jeu de l’enfant. Elle a été mise en lumière et décrite par Laurence Rameau. Cette auteure est puéricultrice, formatrice de professionnels de la petite enfance après avoir longtemps dirigé des crèches. Actuellement, elle est directrice de la rédaction du Journal des professionnels de la petite enfance, et écrit de nombreux ouvrages destinés aux professionnels de la petite enfance. Après avoir bénéficié d’une formation sur cette pédagogie, j’ai pu l’expérimenter lors de mes expériences précédentes. J’ai souhaité partager ces expériences avec l’équipe de la micro-crèche, et nous avons décidé de proposer le jeu et les activités selon les grands principes de l’itinérance ludique. Les objectifs principaux de cette pédagogie ? L’aventure, la découverte, les expériences, et surtout du plaisir !
C’est par ses expériences que l’enfant découvre le monde qui l’entoure, et apprend. L’enfant, naturellement, expérimente. Il utilise le matériel / les jeux dans tous les sens, en inventant des utilisations auxquelles nous n’avions pas pensées. De cette manière, l’enfant développe sa créativité, son imagination, mais aussi aborde les prémices des mathématiques, de la physique / chimie… et appréhende les grandes notions de base (grand / petit, lourd / léger, etc.). Cela, il le fait de lui-même, sans que l’adulte ne cherche à le lui apprendre par le biais d’activités dirigées ou d’apprentissages.
Les grands principes de l’itinérance ludique… au regard des besoins de l’enfant
L’enfant a besoin de pouvoir expérimenter et ne peut s’empêcher de faire des expériences. Il existe une théorie qui s’appelle la « théorie de l’affordance » : elle signifie qu’un enfant ne peut s’empêcher d’aller vers un objet / matériel, et faire des expériences avec. L’enfant ne peut résister à la tentation. Par exemple, prenons une chaise : il ne sait pas et n’est pas en capacité de comprendre que cet objet est fait pour s’asseoir avant un certain âge, et avant d’avoir testé les différentes possibilités liées à cette chaise. Il sera inévitable pour lui d’essayer de monter dessus debout, de la déplacer, pourquoi pas la retourner, etc… Avant de connaitre cet objet et d’en comprendre son utilisation. Il a besoin de faire différentes expériences pour comprendre les caractéristiques et l’utilisation d’un objet.
Il a également besoin de pouvoir se déplacer et déplacer le matériel (ce jeu a-t-il les mêmes caractéristiques dans la pièce d’à côté ? si je le bouge, que se passe-t-il ?). Ainsi, un travail en « portes ouvertes », avec une libre circulation des enfants et des jeux est intéressant. Il s’agit de faire des propositions variées dans des espaces différents qui restent ouverts et où les enfants peuvent aller et venir à leur guise. Refuser à un enfant de participer à une activité « peinture » par exemple, c’est très dur pour lui, et cela peut lui renvoyer quelque chose de l’ordre de l’affectif (si elle ne veut pas que je vienne c’est qu’elle ne m’aime pas). C’est très compliqué pour un enfant de lui fermer la porte, et il n’a pas la notion du temps. Lui expliquer qu’il pourra venir tout à l’heure, quand il y aura une place disponible, cela ne veut rien dire pour lui, il ne le comprend pas. Tout ce qu’il comprend c’est qu’on ne veut pas de lui. Alors, pourquoi ne pas laisser les portes ouvertes ? Quelles raisons peut-on invoquer pour refuser une activité à un enfant ?
L’équipe essaye alors de proposer des activités adaptées aux différents âges des enfants, afin que tous puissent participer selon leurs envies. Plusieurs choix sont proposés pour que l’enfant ait la possibilité de participer ou non. Il ne s’agit pas lors de l’activité de lui montrer un « modèle », mais de le laisser faire des expériences avec ce que nous lui proposons.
Par ailleurs, l’enfant a besoin de temps pour faire ses expériences. Un temps de jeu doit se dérouler sur beaucoup de temps, et ne pas être interrompu sans cesse… car l’enfant n’a pas le temps d’aller au bout de ses expériences si nous le « coupons » pour aller chanter, pour changer la couche, etc.
Il est alors intéressant de laisser les mêmes jeux sur la matinée. Et proposer en plus, une activité à côté, dans un espace délimité. Il est nécessaire qu’il y ait plusieurs propositions de jeux en même temps, même si l’espace n’est pas très grand : on peut proposer dans l’espace « bébé », de la manipulation (en laissant l’espace ouvert), dans la grande pièce, des dessins par exemples, et pourquoi pas utiliser le dortoir des « grands » comme un espace en plus, avec de la motricité ? Ou le jardin ?
Concernant l’extérieur, certains enfants n’aiment pas sortir ou préfèreraient rester à l’intérieur jouer aux LEGO par exemple. Pourquoi ne pas prévoir une personne qui reste à l’intérieur ? Pour l’extérieur, nous pouvons également proposer des jeux, et pas seulement et toujours les vélos et trotteurs (on peut très bien faire de la manipulation dehors, ou alors jouer aux Lego ou poupées…). Tout dépend du nombre d’adultes, car il est essentiel qu’il y ait un adulte dans chaque espace dans lequel le jeu est proposé !
Ce sont tous ces principes que nous tentons d’appliquer, afin de respecter les besoins de l’enfant en jeu, et une grande liberté dans les jeux.
Les activités que nous proposons…
Concernant les « activités » que nous proposons ; telles que la pâte à modeler, le dessin, la peinture, les jeux d’enfilage, les puzzles, le collage, transvasement, etc… L’idée est de ne pas guider l’enfant dans ses expériences, ne pas lui montrer quoi faire, ni comment. C’est de le laisser utiliser le matériel comme il le souhaite. Pour cela, nous lui laissons à disposition du matériel suffisant et varié, et sur différents supports / angles de vue. Par exemple, pour la peinture :
• nous prévoyons des supports différents (feuilles de couleurs ou tailles différentes / fines ou cartonnées) en nombre suffisant (de l’identique et du différent)
• Proposition sur le sol/table/mur
• Différents matériels qu’il peut choisir ou non : pinceaux, rouleaux, éponges, ou utilisation de sa main, de son corps, s’il le souhaite
Il peut même utiliser des petites voitures, ou autre matériel qu’il aurait envie de tester avec la peinture
Dans notre accompagnement, nous lui laissons toucher la peinture avec sa main afin de découvrir la matière, et faire des traces avec ses mains/doigts. Notre objectif qu’il puisse faire ses propres expériences qui l’intéressent à sa guise, et surtout, qu’il prenne du plaisir ! Il en est de même pour la pâte à modeler, le dessin, ou toute autre activité que nous proposons.
Le but de ces activités n’est alors pas la production, ni même de faire quelque chose de beau ou « concret », mais de permettre à l’enfant de découvrir des matières, des couleurs, d’exercer sa motricité fine (ou globale si un enfant « dessine » accroupi sur une feuille au sol). Le principal objectif étant là encore le plaisir, plaisir qui peut être partagé par l’adulte, observateur de ces expériences parfois surprenantes !
Notre place et notre positionnement
Notre positionnement est de laisser l’initiative à l’enfant d’inventer son jeu tout en restant disponible pour lui, tout en soutenant ce qu’il fait par le regard, la posture, les mimiques et le langage. L’adulte a pour rôle d’éclairer le jeu de l’enfant et de porter un intérêt à ce qu’il découvre ou invente, à ce qu’il teste. Il n’est pas là pour « faire faire », mais pour permettre à l’enfant de faire. L’idée, ce n’est pas d’occuper les journées de l’enfant, mais de proposer des jeux, du matériel, tout en ne sachant pas ce que l’enfant va en faire. Il est plus intéressant de se laisser surprendre et surtout de faire confiance à l’enfant.
Nous portons une grande attention à ce que fait l’enfant, nous l’observons, participons parfois à ses jeux lorsqu’il nous y invite. Et surtout, nous commentons, encourageons l’enfant dans ses expériences. C’est par cet accompagnement là que l’enfant apprend plein de choses et développe ses différentes intelligences.
L’adulte n’est pas l’initiateur ni même le meneur du jeu, ni le détenteur des règles du jeu de l’enfant. Il est le metteur en scène et l’enfant reste l’acteur. Il a pour rôle d’être garant de la sécurité affective et physique. Le plus difficile, c’est de pouvoir associer l’aventure et la sécurité. Tout le monde n’a pas les mêmes peurs (un enfant qui fait des expériences motrices par exemple en grimpant sur une chaise : le laisse-t-on faire ?). Les limites que nous mettons à l’enfant sont alors discutées, dans un souci de cohérence et de garantir une sécurité de l’enfant.
Il ne s’agit pas de laisser tout faire à l’enfant mais de poser des limites, un cadre (ne pas jeter le matériel, ne pas manger la pâte à modeler,…). Les seules raisons pour lesquelles nous disons NON dans le jeu de l’enfant c’est :
• S’il se met en danger
• S’il fait du mal à un autre enfant (s’il le tape, mord…)
• S’il détruit volontairement le matériel
Mis à part ces impératifs, pourquoi ne pas laisser l’enfant faire ses expériences ?
Pour résumer…
L’itinérance ludique, c’est alors :
• Une grande liberté dans le jeu de l’enfant : un environnement pensé pour éviter d’avoir à dire « non » dans le jeu de l’enfant
• Une disponibilité de l’adulte qui accompagne le jeu de l’enfant : par son regard, en commentant ses jeux, en entrant dans l’univers de l’enfant lorsqu’il y est invité…
• Des expérimentations libres et riches : avec du matériel simple, ou des jeux « neutres », l’enfant fait de multiples expériences
C’est ce que nous tentons d’appliquer au quotidien à la crèche, pour que vos enfants soient heureux et développent des capacités cognitives qui leur serviront pour leurs apprentissages futurs et leur vie en société…
Aurélie, éducatrice de jeunes enfants
Bibliographie… pour aller plus loin
• « Un bébé à la crèche, pédagogies et neurosciences », Laurence Rameau, éditions Philippe Duval, Janvier 2015
• « Pourquoi les bébés jouent », Laurence Rameau, éditions Philippe Duval, Septembre 2011
• « L’explorateur nu, plaisir du jeu – découverte du monde », Jean Epstein et Chloé Radiguet, éditions universitaires, décembre 1999
• Formation sur l’itinérance ludique par Laurence Rameau, Paris le 23 et 24 Avril 2015